Interview du RĂ©alisateur Azlarabe Alaoui Lamharzi
Comment est née l’idée du film et Comme dans vos précédents films vous abordez des sujets qui vous tiennent à cœur : l’exclusion, la différence, et plus largement la condition humaine. Pourquoi ce choix ?
Mon dernier projet cinématographique, AFRICA BLANCA, tire ses racines de plusieurs sources d'inspiration. Tout d'abord, l'idée est née de mon expérience en réalisant un documentaire sur la cause des albinos, qui s'est étalée sur plus de cinq ans et qui demeure toujours en cours. Les rencontres et les témoignages poignants recueillis au cours de ce projet m'ont profondément marqué et m'ont incité à entreprendre ce long-métrage pour explorer plus en profondeur les enjeux complexes et les réalités difficiles auxquelles sont confrontées les personnes albinos en Afrique. En particulier le danger de persécution et de mutilation auxquels ils sont exposés en raison de croyances superstitieuses. En explorant cette thématique à travers l'histoire d'Ousmane et de sa mère Aïchata, nous souhaitions sensibiliser le public à cette réalité souvent méconnue et susciter la réflexion sur les droits humains et la tolérance.
Les sujets d'exclusion, de différence et de condition humaine sont des thèmes récurrents dans mes films car ce sont des questions fondamentales qui touchent profondément l'humanité. En mettant en lumière les luttes et les triomphes des personnages marginalisés ou différents, je cherche à encourager l'empathie, la compréhension et l'inclusion. En racontant des histoires authentiques et émouvantes, j'espère inspirer le changement social et promouvoir un monde où chacun est respecté et valorisé, quelles que soient ses différences.
En tant que réalisateur, je m'efforce de mettre en lumière des sujets qui me tiennent à cœur. Mes précédents films, comme Androman du sang et du charbon j'ai exploré les conséquences de l'isolement d'un village oublié dans les montagnes de l'Atlas. Le film dépeint les défis auxquels sont confrontées les femmes de ce village en raison de leur marginalisation et du manque d'accès aux ressources et aux droits fondamentaux.
Kilikis: La Cité des Hiboux plonge au cœur de la psychologie humaine des gardiens d'une prison de détenus politiques. À travers ce film, j'ai cherché à dépeindre la vie quotidienne des gardiens qui, malgré leur rôle dans l'incarcération, sont aussi des individus avec leurs propres luttes et dilemmes moraux. Le film explore également la relation complexe entre les gardiens et les détenus, mettant en lumière les nuances et les tensions qui caractérisent cette dynamique.
Ces exemples démontrent mon engagement à aborder des sujets sociaux et humains profonds, en donnant une voix aux marginalisés et en encourageant la réflexion sur les questions de justice sociale et de droits de l'homme.
Autour de vos techniciens et comédiens marocains, vous vous êtes entourés d’une équipe internationale. Pourquoi ?
Nous avons choisi de nous entourer d'une équipe internationale pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cela nous permet d'avoir accès à un pool de talents diversifié, avec des compétences et des expériences variées, ce qui enrichit considérablement la créativité et la qualité du projet. En collaborant avec des professionnels de différents horizons culturels, nous sommes également en mesure d'apporter des perspectives nouvelles à notre travail, ce qui peut contribuer à élargir l'impact et la portée du film.
De plus, faire appel à une équipe internationale peut offrir des opportunités de financement et de distribution plus étendues, en ouvrant les portes à des marchés cinématographiques internationaux. Cela peut également renforcer la crédibilité du projet et accroître sa visibilité à l'échelle mondiale.
Enfin, travailler avec une équipe internationale permet de favoriser les échanges culturels et les collaborations interculturelles, ce qui peut enrichir non seulement le processus de création, mais aussi les relations humaines au sein de l'équipe.
Quelles ont été les conditions de tournage en particulier dans le désert ?
Les conditions de tournage dans le désert ont été extrêmement exigeantes mais aussi incroyablement enrichissantes. En tant que réalisateur africain et fils du désert, j'ai personnellement été inspiré par les vastes étendues et la beauté brute de cet environnement.
Nous avons dû faire face à des températures extrêmes, des vents violents et des tempêtes de sable, ce qui a parfois compliqué la logistique du tournage. L'accès à l'eau, à la nourriture et à l'abri était essentiel pour assurer le confort et la santé de tous les membres de l'équipe. De plus, le désert présente des défis logistiques uniques en termes de transport, d'équipement et de communication. Nous avons dû faire preuve de flexibilité et d'adaptabilité pour surmonter ces obstacles et maintenir le bon déroulement du tournage.
Malgré ces défis, tourner dans le désert nous a permis de capturer des paysages à couper le souffle et de créer une atmosphère authentique et immersive pour notre film. C'était une expérience éprouvante mais aussi incroyablement gratifiante pour toute l'équipe.
Quels ont été vos choix artistiques ?
Mes choix artistiques ont été guidés par notre désir de créer une expérience cinématographique immersive et émotionnellement puissante pour le public. Dans notre film, qui est un road-movie tourné dans des décors variés tels que le désert, la forêt, les villes comme Fès et Tanger, ainsi que la mer Méditerranée, nous avons employé le plan-séquence pour augmenter le réalisme et l'immersion du spectateur dans l'univers du film.
Le choix de notre acteur principal, qui incarne un albinos, n'a pas été facile. Nous avons dû surmonter de nombreux défis pour protéger notre acteur lors d'un tournage très difficile, notamment en termes de sécurité et de conditions climatiques extrêmes. Cela a nécessité une planification minutieuse et un engagement total de la part de toute l'équipe pour assurer le bien-être et le confort de notre acteur, tout en préservant l'intégrité artistique du film.
Dans notre approche artistique, nous avons également veillé à intégrer des éléments symboliques et visuels pour renforcer les thèmes et les motifs du film, tout en offrant au public une expérience visuelle et sensorielle riche et immersive. En combinant des décors variés, une mise en scène réaliste et des performances authentiques, nous avons cherché à créer un film qui touche profondément le cœur et l'esprit des spectateurs.
Vous avez attaché une attention particulière à la bande son, pouvez-vous nous en dire plus. ?
La bande sonore de notre film a été méticuleusement construite pour offrir une expérience auditive immersive et évocatrice. Nous avons non seulement intégré des instruments musicaux africains authentiques tels que le KORA, mais nous avons également exploré la richesse et la diversité musicale des régions traversées dans le film, du Sénégal au Maroc.
Dans cette optique, nous avons incorporé différents styles de musique en fonction des endroits et des cultures représentés. Par exemple, dans les scènes se déroulant au Sénégal, nous avons utilisé des rythmes et des mélodies traditionnels sénégalais, tandis qu'au Maroc, nous avons incorporé des éléments de musique Hassani et Gnawa pour refléter la culture locale.
De plus, nous avons cherché à capturer l'essence de chaque région à travers sa musique, en mettant en avant les instruments et les traditions musicales propres à chaque paysage culturel. En combinant ces différents éléments, nous avons créé une bande sonore dynamique et authentique qui enrichit l'expérience cinématographique et transporte le spectateur dans un voyage sonore à travers les paysages et les cultures de l'Afrique du Nord.
Enfin, dans la dernière séquence du film, nous avons choisi d'employer des musiques orchestrales pour créer une intensité émotionnelle et visuelle supplémentaire, amplifiant ainsi l'impact de cette scène finale et offrant une conclusion épique à notre histoire.
Parlez-nous de vos comédiens et de vos figurants, comment les avez-vous choisis et dirigés ?
Le choix des comédiens et des nombreux figurants a été une étape cruciale dans la création de notre film. Nous avons cherché à sélectionner des acteurs et des figurants qui non seulement correspondaient aux caractéristiques des personnages, mais qui pouvaient également apporter une profondeur et une authenticité à leurs interprétations.
Pour les rôles principaux, nous avons mené un processus de casting rigoureux, auditionnant plusieurs acteurs pour chaque rôle afin de trouver les personnes les mieux adaptées à nos besoins. Nous avons recherché des acteurs talentueux capables de capturer la complexité émotionnelle des personnages et de les incarner de manière convaincante à l'écran.
Pour le rôle principal, nous avons entrepris un casting dans quatre pays africains - la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Cameroun et le Congo - afin de trouver un acteur albinos. Cependant, les personnes albinos craignaient légitimement d'être victimes de sorciers chasseurs d'albinos, ce qui a rendu le processus particulièrement délicat. Pour assurer la sécurité des participants au casting, nous avons dû travailler en étroite collaboration avec les gouvernements de ces pays. Finalement, nous avons découvert Ousmane au Sénégal, et c'était son premier rôle au cinéma. Sa vie était extrêmement difficile auparavant, mais aujourd'hui, il est devenu une star au Sénégal.
Pour le reste du casting, nous avons également recherché des acteurs talentueux dans toute l'Afrique, notamment au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Mali. Naky SY Savane, une actrice renommée en Afrique et en Europe, a également rejoint le projet pour le rôle de Aichta premier rôle féminin . Quant aux acteurs marocains, nous avons privilégié des stars locales du Maroc et du monde arabe pour incarner les personnages clés du film.
Quant aux figurants, nous avons souvent fait appel à des habitants locaux des régions où nous tournions, ce qui nous permettait non seulement d'obtenir une représentation authentique des communautés locales, mais aussi de favoriser l'inclusion et l'implication des habitants dans le processus de création du film. Mais , nous avons rencontré des difficultés supplémentaires car beaucoup d'entre eux étaient des clandestins sans papiers. Nous avons dû les garder avec nous tout au long de la période de tournage pour éviter tout problème légal et pour maintenir le réalisme de l'histoire. Dans l'ensemble, le processus de casting africain a été très difficile, mais il était essentiel pour maintenir l'authenticité et la crédibilité du film.
En termes de direction d'acteurs, nous avons travaillé en étroite collaboration avec chaque membre de l'équipe pour développer leurs personnages et leurs performances. Nous avons encouragé un environnement de travail collaboratif où les acteurs étaient encouragés à apporter leurs propres idées et interprétations aux personnages, tout en restant fidèles à la vision globale du film.
Pendant le tournage, nous avons fourni des indications précises et des conseils aux acteurs pour les aider à trouver le ton et l'émotion justes pour chaque scène. Nous avons également veillé à créer un environnement de travail sûr et respectueux où les acteurs se sentaient libres d'explorer et d'exprimer leur créativité.
Dans l'ensemble, le choix et la direction des comédiens et des figurants ont été des éléments essentiels pour donner vie à notre histoire et créer une expérience cinématographique captivante pour le public.
Comment avez-vous travaillé avec l'équipe de production pour donner vie à votre vision artistique ?
Pour donner vie à ma vision artistique, j'ai travaillé en étroite collaboration avec l'équipe de production tout au long du processus de création du film. Nous avons commencé par des réunions de pré-production où j'ai partagé mes idées et ma vision pour le film. J'ai ensuite travaillé avec le directeur de la photographie pour définir l'esthétique visuelle du film, en discutant des angles de caméra, de l'éclairage et de la composition des plans pour créer l'atmosphère souhaitée.
Avec les chefs décorateurs et les costumiers, nous avons élaboré des décors et des costumes qui reflétaient l'authenticité des lieux et des époques représentés dans le film. J'ai encouragé la créativité et la collaboration de toute l'équipe pour trouver des solutions innovantes et originales qui serviraient le récit de manière efficace.
Pendant le tournage, j'ai maintenu une communication ouverte avec chaque membre de l'équipe pour m'assurer que ma vision artistique était réalisée de manière cohérente. J'ai encouragé les idées et les contributions de chacun, tout en veillant à ce que le film reste fidèle à ma vision initiale. Je tiens à souligner l'importance de la collaboration avec mon coproducteur, que je considère comme un grand frère et un homme exceptionnel, Monsieur Charles Scibetta de la société RENA PROD. C'est la première fois que je travaille avec un coproducteur qui est non seulement un professionnel accompli, mais aussi une personne de grande valeur humaine.
Monsieur Scibetta a été un véritable soutien tout au long du processus de production. Sa vision artistique et son engagement envers le projet ont été une source d'inspiration pour moi. Il m'a donné la force de continuer malgré les difficultés rencontrées, notamment en ce qui concerne le financement du film.
Ce que j'apprécie le plus chez Monsieur Scibetta, c'est son désintéressement envers l'argent et sa passion pour l'art cinématographique. Il a apporté une contribution précieuse au projet, non seulement sur le plan financier, mais aussi en termes de conseils et de soutien moral.
Grâce à la collaboration exceptionnelle de Monsieur Charles Scibetta, le film a pu voir le jour et rencontrer le succès qu'il mérite. Je lui suis profondément reconnaissant pour son dévouement et sa générosité, et je suis honoré d'avoir eu l'opportunité de travailler avec lui sur ce projet.
Je tiens également à exprimer ma profonde gratitude envers le Centre Cinématographique Marocain pour son soutien précieux, notamment à travers l'avance sur recettes qui a permis de concrétiser ce projet cinématographique. Leur engagement envers le développement du cinéma au Maroc a été essentiel pour donner vie à ce film.
Je tiens également à remercier chaleureusement le Ministère de la Communication, en particulier Monsieur Mehdi Bensaid, pour leur soutien indéfectible tout au long du processus de production. Leur appui et leur encouragement ont été d'une grande importance pour la réalisation de ce projet.
Je n'oublie pas non plus la contribution essentielle de mon coproducteur, Canal+ International, ainsi que de TV5 Monde, dont le soutien financier et logistique a été déterminant pour la réussite du film. Leur confiance dans le projet et leur collaboration ont été des éléments clés de sa réussite.
En somme, je suis reconnaissant envers toutes les institutions et les partenaires qui ont contribué à faire de ce projet une réalité. Leur soutien et leur engagement ont été inestimables et ont permis de porter haut les couleurs du cinéma marocain à l'international.
Quel est le message que vous avez souhaité faire passer à travers ce film ?
Le message que nous avons souhaité transmettre à travers ce film est celui de la résilience, de la solidarité et de l'espoir face à l'adversité. En mettant en lumière les défis et les luttes auxquels sont confrontés les personnages, nous voulions illustrer la capacité de l'homme à surmonter les obstacles et à trouver la force intérieure pour poursuivre ses rêves, même dans les situations les plus difficiles.
À travers l'histoire de nos protagonistes, nous avons également abordé des thèmes universels tels que l'acceptation de la différence, la tolérance et la lutte contre l'injustice. En fin de compte, notre film célèbre la résilience humaine et la capacité de l'amour et de la solidarité à triompher des épreuves.
Plus largement quelle est la dimension universelle du film ?
La dimension universelle de notre film réside dans sa capacité à toucher les spectateurs au-delà des frontières géographiques et culturelles. En racontant une histoire humaine profondément émouvante et universelle, notre film aborde des thèmes et des expériences partagés par les êtres humains du monde entier. Que ce soit la quête de liberté, le désir de trouver sa place dans le monde, ou la lutte contre l'oppression et l'injustice, ces thèmes résonnent avec les spectateurs de toutes origines et de toutes cultures.
De plus, en mettant en avant la diversité des paysages et des cultures de l'Afrique du Nord, notre film offre une fenêtre sur la richesse et la variété du continent africain, tout en mettant en lumière les défis communs auxquels sont confrontés les individus, quel que soit leur lieu de naissance.
En fin de compte, la dimension universelle de notre film réside dans sa capacité à susciter l'empathie, à inspirer la réflexion et à promouvoir la compréhension mutuelle entre les peuples, en soulignant notre humanité partagée et nos aspirations communes à la paix, à la justice et à la dignité.
Y-a-t-il des anecdotes intéressantes ou des moments mémorables que vous aimeriez partager sur le plateau de tournage ?
Une anecdote amusante sur le plateau de tournage implique notre directeur de la photographie (DOP) qui est venu me voir pour me dire que les yeux de l'acteur principal, l'albinos, ne cessaient jamais de bouger. Pour lui, cela posait un problème pour la mise au point et la netteté de l'image. Ensuite, nous avons décidé de réaliser un plan subjectif de l'albinos, notre acteur principal.
Nous avons passé une demi-heure à discuter de la manière de faire bouger la caméra en synchronisation avec les mouvements des yeux de l'albinos. Finalement, nous avons décidé d'aller directement vers Ousmane, l'albinos, et de lui poser la question. Nous lui avons demandé : Comment vois-tu les choses puisque tu es albinos et que tes yeux ne s'arrêtent jamais de bouger ? Est-ce que les choses bougent tout le temps pour toi ? À cela, l'albinos a éclaté de rire et est tombé au sol. Après un moment, il nous a regardés et a dit : Mais je vois les choses comme vous, très stables. Cette anecdote illustre la simplicité et l'humour avec lesquels nous avons abordé les défis techniques du tournage, et elle a renforcé notre connexion avec Ousmane, notre talentueux acteur principal.
Quels sont vos projets futurs en tant que réalisateur et quels types de films aimeriez-vous explorer à l'avenir ?
Mon objectif en tant que réalisateur est de mettre en lumière les défis et les blessures de l'Afrique, tout en présentant le continent comme un lieu de résilience et de potentiel. Je souhaite aborder des sujets profonds et complexes qui touchent les sociétés africaines, tout en évitant les stéréotypes et les clichés souvent associés à l'Afrique.
Il est important pour moi de présenter l'Afrique non pas comme un simple folklore ou une destination exotique, mais comme un continent dynamique et diversifié, doté d'une richesse culturelle et d'un potentiel humain immense. Je crois fermement que l'Afrique a les ressources et la capacité de résoudre ses propres problèmes, et je veux contribuer à promouvoir cette vision à travers mes films.
En mettant en avant les histoires et les voix des Africains, en explorant les questions sociales, politiques et économiques qui les affectent, je souhaite inspirer un dialogue constructif et encourager une prise de conscience sur les enjeux auxquels fait face le continent. Mon objectif ultime est de contribuer à changer les perceptions de l'Afrique et de susciter un sentiment d'optimisme et de fierté chez ses habitants.
Rabat Avril 2024